Compléter & Elargir le répertoire enseigné dans le jazz

Compléter et élargir le répertoire enseigné dans le jazz.

Il y a toujours un « pourquoi » au fait de soumettre un morceau à un groupe d’élèves. Bien sûr, toutes les productions musicales du jazz n’ont jamais eu de vocations directement pédagogiques. John Coltrane n’a probablement pas écrit Giant Stepspour faire travailler ce type d’enchaînement aux jazzmen en herbe. C’est le propre de la transposition didactique : passer d’un savoir savant (Giant Steps) à un savoir enseignable (quels sont les éléments contenus dans Giant Stepsqui peuvent faire l’objet d’un enseignement?).

Mon projet pédagogique a toujours voulu alterner l’étude des Standards et des Oeuvres de maîtres ET l’étude du répertoire actuel. Ce dernier semblant toujours encore inaccessible aux élèves. Plus brutalement, qu’est-ce qui empêche un groupe d’élève d’aborder le blues à la fois au travers de Now’s the Time (C. Parker) et Bee Blues (B. Mehldau) ?

Et déjà une critique pointe : « on ne peut jouer passablement Bee Blues, que si on sait jouer correctement Now’s The Time ». C’est probablement vrai. Mais ma démarche veut insister sur le fait qu’il me semble important de montrer aux élèves que le jazz n’est pas une musique de compositeurs et de musiciens morts. Que cette musique vit. Qu’elle est la créativité même. Malheureusement trop peu d’entre eux sortent dans les clubs, connaissent les artistes de leur temps, les musiciens de leur pays, de leur région !

L’enseignement du jazz se concentre légitiment sur la transmission de ce socle de langage, dont parle Laurent Cugny. Pour globaliser, il s’agit de l’enseignement des Standards (Gerswhin, Berlin, Kern, Hammerstein, Porter, etc.) et des Oeuvres de maître (Silver, Monk, Shorter (quoique), Ellington, etc.) :

« Il existe pour la musicologie savante « une pratique commune » de la musique correspondant approximativement à la période et à la pratique tonales, prises plus ou moins explicitement comme objet de référence. Des problèmes spécifiques d’analyse se posent quand on s’éloigne de cette ère, que ce soit dans un avant (les musiques pré-tonales) ou dans l’après des musiques post-tonales. Il se produit, mutatis mutandis, à peu près la même chose pour le jazz : une « pratique commune » peut-être définie dans laquelle un corps de langage s’est formé, fonctionnant pendant un temps de façon consensuelle et stable. Quelles sont ses caractéristiques principales ?

Harmonie :

  • alliage d’harmonie tonale et de blues ;
  • régime d’harmonicité (ensemble de façons de traiter et de réaliser les accords et leurs enchainements).

Forme :

  • forme de la composition : choix limité (principalement AABA, ABAC, blues) ;
  • forme de la performance : prédominance de la forme thème-solos-thème.

Rythme :

  • pulsation stable et isochrone ;
  • mesure à 4/4

Codes de jeu :

  • principalement walking bass et chabada.

Instrumentation « acoustique » :

  • section mélodique : trompette, saxophone, clarinette, trombone, violon ;
  • section rythmique : contrebasse, batterie et un ou deux instruments polyphoniques, principalement le piano, la guitare ou le vibraphone.

On peut ainsi définir une pratique commune du jazz, dans laquelle les éléments précédents sont, sauf exception, tous présents, ou présents dans leur majorité, en même temps. Historiquement, elle me semble devenir une réalité observable vers 1930, moment où tous les éléments évoqués sont en place individuellement et articulés ensemble dans un fonctionnement-type. Et cela de façon consensuelle voire hégémonique. On peut estimer que pendant une trentaine d’années, pratiquement tout le jazz se déploie sur ce socle de langage. Il faut attendre 1960 et l’apparition du free jazz et du jazz dit « modal » pour que plusieurs de ces éléments (voire tous) soient remis en cause, même si la rupture a été préparée tout au long des années 1950, au cours desquelles certains changements, apparaissent progressivement.1 »

Mon objectif vise – par ses humbles propositions et évidemment dans un but non exhaustif – à compléter et à élargir le répertoire proposé par l’enseignant aux ateliers de pratiques collectives qui apprennent le jazz en puisant dans le répertoire des productions musicales des années 1990 et 2000. Loin de moi l’idée d’éloigner les professeurs de l’enseignement des standards traditionnels, car celui-ci est essentiel, puisque il assoit une « pratique commune »2.

Tous les morceaux présentés sont riches d’enseignement, et la plupart tout à fait accessibles pour le second cycle, voire le premier cycle. C’est la force du jazz : pouvoir jouer des chef d’oeuvres alors qu’on débute.

L’enseignant ou le simple lecteur trouveront en plus des informations de base sur chaque morceau, des partitions (Ut, Bb et Eb), quelques remarques et quelques pistes pédagogiques si besoin.

1.CUGNY, Laurent, Analyse le Jazz, Ed. Outre Mesure, Paris, 2009, p. 24-25.

2.Pratique commune plus que nécessaire quand il s’agit d’aller jouer dans une Jam Session.